Apocalypse Now

Apocalypse Now

Adaptation libre du roman de Joseph Conrad Heart of Darkness, Apocalypse Now nous raconte l’histoire du capitaine Willard qui, pendant la Guerre du Vietnam, est chargé de retrouver et d’exécuter le colonel Kurtz dont les méthodes sont jugées « malsaines » par le gouvernement Etats-unien. Il se serait en effet établi au-delà de la frontière avec le Cambodge, aurait pris la tête d’un groupe d’indigènes et mènerait des opérations contre le Viêt-Cong avec une sauvagerie terrifiante. Le colonel doit, pour ce faire, remonter un fleuve à l’aide d’un patrouilleur et de son équipage.
En ouverture, la chanson The End des Doors, groupe de rock psychadélique engagé contre la guerre du Vietnam, et la voix off de Willard, que nous retrouvons pendant tout le long du film, nous introduit d’emblée dans un univers intérieur et dans ce que sera le parcours de Willard le long du fleuve

Le principe de ce voyage est le même que dans Aguirre la colère de Dieu de Werner Herzog, sorti en 1972 : l’avancée sur le fleuve correspond à une hausse de la folie. Dans Apocalypse Now, cette avancée se fait en 9 étapes, chaque étant une critique toujours plus forte, et prend la forme d’un voyage intérieur dans lequel Willard découvre les horreurs de la guerre du Vietnam et jusqu’où peut aller la folie des Hommes.
Lors de la première étape, le colonel, après avoir découvert que les soldats qui formaient l’équipage du patrouilleur n’étaient pour la plupart que des « gamins », assiste au massacre d’un village Viêt-Cong où se trouvait une école, par la 9ème aéroportée censée les escorter jusqu’à l’entrée du fleuve. La raison de ce premier événement morbide, qui est loin d’être le dernier, est simple: à bord du patrouilleur se trouve un surfeur professionnel et le commandant de la 9ème aéroportée, lui aussi amateur de surf, à bien envie de tester les vagues de la mer située à coté du village. De plus, ce dernier exprime bien son goût pour « l’odeur du napalm le matin » qui lui inspire une odeur de victoire. Willard assiste à un massacre qui est en plus théâtralisé, ce qui ajoute à l’inhumanité de la 9ème aéroportée. En annonce de l’arrivée des soldats, la chevauchée des Walkyries de Wagner, provoquant la terreur des villageois. Puis en guise de fin, les cartes de la mort, signature de la 9ème aéroportée, déposées sur les corps .
A la seconde étape, Willard est enfin sur le fleuve. Le soir, Chef, le saucier de l’équipage, souhaite aller chercher des mangues. Accompagné du colonel, il s’enfonce dans la jungle. Là, nos deux héros sont surpris par un tigres et retournent à bord du bateau. Descendre du patrouilleur devient trop risqué, la jungle est un ennemi naturel .

Lors de la troisième étape, l’équipage du patrouilleur arrive dans un lieu où se réunissent tous les soldats afin de se ravitailler en essence. S’y trouvent à notre grande surprise des attractions et une scène en plein milieu de la jungle. Willard y découvre des trafics de drogues, d’armes et de machines en tous genres sur lesquels l’armée ferme les yeux, et assiste à une danse donnée par des strip-teaseuses aux soldats. Ces derniers, sur-excités, tentent alors désespérément d’attraper une des filles, qui réussissent finalement à remonter dans l’hélicoptère qui les avait amenées et à repartir. Dans cette étape, le réalisateur dénonce les trafics et le comportement des soldats de l’époque, chose qui ne s’est jamais faite jusque là . Quatrième étape, des soldats états-uniens mettent le feu au toit du patrouilleur afin de s’amuser. La folie des soldats est alors confirmée .
A la cinquième étape, l’équipage croise une embarcation viêt et procède à « un contrôle de routine » malgré le refus de Willard. Celui-ci vire au massacre: une des Vietnamiennes de l’embarcation a tenté d’intercepter Chef qui était chargé de fouiller le bateau. Là, un des soldats du patrouilleur perd son sang-froid et mitraille tout l’équipage de l’embarcation. On découvre alors que la Vietnamienne voulait juste protéger son chien en interceptant Chef. Lors de ce passage, nous sentons, grâce au comportement et à la voix stridente de Chef ainsi que le manque de contrôle du soldat à la mitrailleuse, que la tension augmente au sein de l’équipage du patrouilleur. Nous apprenons aussi, toujours par la voix off de Willard qui continue d’étudier le dossier de Kurtz, que sa future victime était passée du soldat modèle au pire des monstre au cours de son séjour au Vietnam .
Sixième étape, l’équipage s’arrête au pont de Do Lang. Willard assiste alors à un chaos total. Des soldats sans autorité au dessus d’eux gardent un pont qui est détruit et reconstruit tout les jours. Il y surprend même dans une tranchée un soldat Etats-unien en train de tirer sur un ennemi inexistant car déjà mort. L’équipage finit par reprendre le large. C’est une nouvelle hausse de la folie et de la tension dans l’esprit des soldats .
A la septième étape, Lance, le surfeur de l’équipage, complètement drogué, allume un fumigène et enfume toute l’embarcation. Des projectiles sont alors lancés à partir de la jungle sur le patrouilleur et l’un d’eux finit par toucher le plus jeune des soldats. L’équipage regardant le mort entend en plus sa mère dans un enregistrement, qui lui demande d’ « évit[er] les balles ». Pendant ce temps, Lance s’inquiète pour le chien de la vietnamienne qu’il a perdu pendant l’attaque. C’est une nouvelle hausse de la tension et de la folie sur le patrouilleur .
Lors de la huitième, nous sortons entièrement du cadre de la guerre du Vietnam. L’équipage s’est enfoncé au plus profond de la jungle et est attaqué par des indigènes à coup de flèches. Le capitaine qui conduisait le bateau meurt à cette étape et Willard se voit dans l’obligation d’informer le reste de l’équipage de sa mission. Les soldats finissent par accepter de continuer d’avancer.
A la neuvième étape, le patrouilleur accoste au camp de Kurtz. Cette étape est une véritable critique du fanatisme religieux et de la folie humaine. Le camp a en effet la forme d’un temple et le reporter qui accueille Willard et ses compagnons, est un véritable fanatique à la botte de Kurtz. Quant à la folie, la tension, l’horreur, et le mysticisme, ils atteignent leur paroxysme. Les corps abondent dans le camp, et durant son emprisonnement, Willard apprend la mort de son ami Chef (sa tête est déposée sur ses genoux) et que Lance, qui l’accompagnait, est trop drogué pour l’aider. Il passe alors quelques jours aux cotés de Kurtz, l’écoutant philosopher sur l’horreur et le pouvoir (il dit souhaiter une armée capable de tuer et d’aimer, d’être sensible et insensible, ce qui prouve sa folie). Ce dernier lui explique par ailleurs qu’il l’autorisait à le tuer s’il rentrait ensuite pour dire à son fils ce qu’il a fait. Sa mort est elle-même très symbolique car la scène est faite en parallèle avec le sacrifice d’un taureau, sacrifice symbolisant la domination de l’Homme sur l’esprit indomptable, du bien sur le mal . Mais l'origine de l'horreur est malgré tout placée du coté des Vietnamiens puisque c'est après avoir vu les bras d'un enfant arrachés par un Viêt-Cong que Kurtz devient fou ( ce qui provoque une certaine ambiguité quand au message du film, probablement due aux opinions conservatrices de certaines des personnes ayant collaboré avec Coppola pour la création de l'oeuvre, tel que John Millius qui avait participé à l'élaboration du scénario).

A travers cette fiction, Coppola accomplit la première rupture entre le gouvernement Etats-Unien et le cinéma hollywoodien : son but, désormais, n’est plus de soutenir l’engagement américain comme le faisait le cinéma jusque là mais de montrer la guerre telle qu’elle était et dans faire la critique (Kurtz symbolisant la dérive de l’engagement américain et les horreurs que cela a pu engendrer). Il le dira au festival de Cannes en 1979 où il aura eu la palme d’or pour ce film :
« Apocalypse Now n'est pas un film sur le Viêt Nam, c'est le Viêt Nam. Et la façon dont nous avons réalisé Apocalypse Now ressemble à ce qu'étaient les Américains au Viêt Nam. Nous étions dans la jungle, nous étions trop nombreux, nous avions trop d'argent, trop de matériel et petit à petit, nous sommes devenus fous.»